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Messe de requiem en ré mineur - Gabriel Fauré

Updated: Nov 19, 2021

Certains musiciens de notre génération traitent le Requiem de Fauré avec une rigueur excessive. Tel admirateur du Requiem de Verdi et de sa « bufera infernale » met en cause la « grâce fauréenne » dans un sujet aussi dramatique. Mais si cette grâce fait parfois échec à la grandeur, elle n’entraîne pas les « suavités » dont on lui fait reproche. D’autre part, reconnaissons que la première liturgie des défunts est fort éloignée des images dantesques et de cette épouvante qui inspira le Dies irae à une époque beaucoup plus tardive. On ne saurait faire grief à Fauré d’avoir supprimé cette pièce aussi peu accordée à son tempérament musical qu’à la paisible sérénité de la « plus ancienne prière pour les morts ».

Au spectacle terrifiant des textes qui marquent ce jour de colère et d’effroi, le musicien préfère l’état d’âme de l’offertoire (Domine Jesu Christe), avec son étrange mixture d’images païennes et chrétiennes et son angoisse quasi métaphysique: le frisson des cordes qui souligne ces allusions troublantes évoque l’horreur superstitieuse de cet au-delà plein de menaces et de mystères, Scheol ou Tartare.

Fauré, plus enclin à la religiosité qu’à toute croyance dogmatique, s’abandonne dans le Requiem comme dans cet Horizon chimérique, véritable chant du cygne, à sa rêverie intimiste. Ainsi s’explique dans le Sanctus, le Lux oeterna, cette clarté discrète où baignent quelques fûts de colonnes et ces « fleurs en pierre des tombeaux qu’embrasse une guirlande de liane »; même l’intrusion des « trompettes du jugement » dans le Libera me n’arrive point à desceller l’arcature de ce mausolée d’albâtre: le poème funèbre éclos dans l’harmonie douce du premier Requiem, se décante et s’achève dans une extatique conclusion, In paradisum, « paradis pleints où sont harpes et luz »..., murmurait Villon.


Le Requiem fut écrit en 1887 et salua le dernier passage du Maître en cette église de la Madeleine (novembre 1924) où il assura les fonctions d’organiste de 1896 à sa mort.



R.P.Martin, de l’Oratoire.



Il faut du recul pour mesurer la portée exacte des chefs-d'œuvre. Depuis qu’il fut écrit, en 1886, peu après la mort de son père, le Requiem de Gabriel Fauré a subi les fortunes et des interprétations fort diverses. L’idée même de la mort et du service sacré des funérailles a changé de perspective.

Jadis il fallait défendre la partition de n’avoir point manifesté sa soumission à certaine dogmatique, son auteur ayant exprimé un certain scepticisme; n’avait-il pas osé omettre, dans son oeuvre la terrifiante fresque du Dies irae? Celui qui confia en mourant: « Mon Dieu, vous jugerez » a peut-être seulement refusé certaine présentation trop anthropomorphique d’un Dieu qui est justice mais surtout amour. L’esprit de cette messe des morts est celui de l’évangile selon saint Jean, celui de Bernard de Cléricaux et de François d’Assise. Si le Phédon platonicien avait déjà pressenti dans la mort corporelle comme une « transition à la vie » (de morte transire ad vitam, dit le texte de l’Offertoire), ce n’est pas une raison pour lui dénier une valeur authentiquement humaine et chrétienne. Notre temps remerciera Fauré d’avoir exprimé dans la liturgie des défunts une douce consolation, comme une lumière de grâce (grecque autant que chrétienne) baignant un monde trop souvent dominé par l’angoisse du mystère d’iniquité. L’accent de très humaine tendresse du Pie Jesu est-il si éloigné des hymnes liturgiques de saint Bernard ? Un humaniste agnostique n’aurait pu imaginer l’In paradisum séraphique, correspondant musical des fresques de Fra Angelico. Pour peu que les interprètes relient la mort du chrétien à celle du Christ le Requiem de Fauré apparaît comme d’une orthodoxie indiscutable.

L’austérité de l’écriture fauréenne est peut-être moins sensible pour les hommes d’aujourd’hui. Elle n’est point l’expression d’un ascétisme spirituel, mais adaptation fonctionnelle de la partition aux voûtes de la Madeleine, goût parfait et raffinement d’une technique qui rapprocherait son auteur des plus grands maîtres classiques. Très peu de musiciens (à part Mozart) ont su allier aussi parfaitement la densité des lignes et la transparence sonore.


Carl de Nys.




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