Tout le monde connait le final dé Don Giovanni , Mozart y fait trois citations : une de ses propres Nozze di Figaro une de Cosa rara de Martin y Soler et enfin l'air Come un agnello de l’opéra Fra i due litiganti il terzo gode de Giuseppe Sarti. On trouve par ailleurs une série de variations sur ce même air de Sarti dans le catalogue des œuvres pour piano de Mozart (KV 454 a) mais des recherches récentes ont prouvé qu'il s'agissait d'une œuvre de Sarti lui-même alors que l'original mozartien, dont il est question dans la lettre à son père en date du 12.VI.1784, demeure inconnu, il est pour le moins curieux qu'un compositeur de cette envergure, à qui Mozart a témoigné un intérêt si vif (et dont une œuvre a pu passer longtemps pour une page de Mozart lui même) demeure totalement négligé des concerts comme des éditeurs de disques.
Né en 1729 à Faënza, dans les États Pontificaux, Sarti fut 13 ans titulaire des grandes orgues de la cathédrale de sa ville natale. On ne sait qui furent ses premiers maîtres mais il est certain que le célèbre franciscain de Bologne, le Père Martini, exerça sur lui une influence profonde ; c'est pour lui qu'il fit faire son portrait que l'on peut admirer de nos jours encore au conservatoire de cette ville. A 23 ans Sarti prit la direction de l'opéra de Faënza et devint immédiatement célèbre par ses deux partitions lyriques Pompeo in Armenia et Il re pastore. En 1753 il fit le voyage de Copenhague dans la célèbre troupe de Mingotti ; le roi du Danemark l'apprécia au point de lui confier la direction de son opéra royal. Sarti demeura à la cour jusqu'en 1775 ; à ce moment des remous politiques l'obligèrent à revenir en Italie.
Il y fut immédiatement chargé de l'Ospedaletto vénicien. A là mort du maître_ de chapelle de là cathédrale de Milan, G.B.Fioroni, en 1779, Sarti participa au concours. Grâce à son élève Cherubini qui en fit don au conservatoire de Paris, nous connaissons les œuvres que Sarti écrivit pour cette épreuve ; en les lisant nous n'avons aucune peine à comprendre pourquoi il passa haut là main devant les autres candidats, des musiciens de l'envergure de Paesiello par exemple. Mais Sarti ne resta que trois ans à là cathédrale ; il y écrivit un grand nombre d'oeuvres sacrées même pour d'autres églises milanaises.
Sarti s'arrêta d'abord à Vienne où il fit là connaissance de Mozart ; ses Litiganti y firent sensation ; l'empereur lui témoigna son admiration par des honneurs et par des espèces sonnantes et trébuchantes. Sarti ne resta que très peu de temps dans là capitale autrichienne son but était cette fois là cour des tsars ; il fut engage par Catherine II à Saint-Pétersbourg. Il faut remarquer qu'il composa immédiatement des partitions lyriques sur des textes italiens et français, mais aussi sur des livrets russes, et que dans ce dernier cas on voit apparaître dans sa musique des mélodies et des rythmes authentiquement russes. Peu après son arrivée à là cour des tsars Sarti composa un psaume sur le texte slavon et en faisant appel à deux orchestres, l'orchestre classique traditionnel et un deuxième orchestre composé de 91 cornistes... Lorsqu'il tomba passagèrement en disgrâce, le Prince Potemkine l'installa dans ses propriétés d'Ukrame où il fonda une importante école de musique. A l'occasion de la victoire du prince près de Ochakov (1789) Sorti écrivit un Te Deum comportant aussi des cloches et des canons...
Lorsqu'il revint de son exil ukrainien en 1793 Sarti fut chargé de là fondation du Conservatoire de toutes les Russies et en assura là direction jusqu'à sa mort. C'est là qu'il inventa un appareil permettant de mesurer les vibrations sonores ; il put ainsi fixer pour la première fois le la d'orchestre à 436. C'est au cours d'un voyage qui devait amener dans sa patrie qu'il tomba malade à Berlin. Sa tombe se trouve à là cathédrale Sainte-Hedwige, située aujourd'hui dans le secteur oriental de là ville.
Le chef-d'œuvre dont nous présentons le premier enregistrement mondial comporte là mention manuscrite française en fête de là partition manuscrite: Oratorio composé sur ordre de S.E. le Prince Potemkine par Joseph Sarti, maître de chapelle de S.A. l'Impératrice de Russie. Il ne peut s'agir d'une composition destinée à l'église ; on sait que les instruments sont interdits dans le culte slavon. Comme là partition enregistrée est précédée d'une longue introduction ayant le caractère d'Intrada et que l'orchestre a certaines particularités allant dans ce sens, on peut penser qu'il s'agissait d'une musique pascale destinée à être interprétée en plein air ou du moins dans des galeries ouvertes. Le texte de l'oeuvre est liturgique ; les trois premiers numéros sont empruntés à l'office du soir du Vendredi Saint, les numéros 5 à 8 sont des fragments du psaume 67 et le choeur final est écrit sur le texte du psaume 150, tous ces textes étant bien entendu dans la langue liturgique russe, le paléoslave ou slavon.
L'orchestre de l'oeuvre est très fourni: 2 petites flûtes, 2 flûtes traversières, 2 clarinettes, 2 hautbois, 4 cors, 2 trompettes, 2 bassons, timbales, tambours, triangle, orchestre à cordes et orgue (celui-ci ayant des parties obligées), mais l'ensemble de cet effectif est utilisé de manière très variée. C'est ainsi que le choeur à quatre voix (No 4) ne comporte que les flûtes traversières, les clarinettes, les cors et les cordes, alors que le trio (No 8) comporte un violon¬solo jouant un véritable mouvement de concerto avec une grande cadence écrite par le compositeur ... Le texte du psaume 150 a inspiré à Sarti des effets sonores très inhabituels dans le choeur final et ils évoquent pour nous une musique d'Europe orientale bien postérieure, de la deuxième moitié du siècle dernier et même du XXe siècle.
On ne pourra pas ne pas être frappé par le caractère grandiose et monumental de certaines pages concertantes vocales, qu'il s'agisse de double choeurs ou du petit choeur «concertino» s'opposant au tutti selon la tradition baroque, ou encore l'immense double fugue (No 7) que bien peu de musiciens étaient capables de concevoir en cette fin du XVIIIe siècle. Mais on sera plus frappé encore de ce que Sarti ait si parfaitement assimilé l'esprit de la musique liturgique russe ; il le montre dans ses récitatifs pour choeur, très typiques, dans la manière caractéristique d'utiliser la mélancolie des tonalités mineures (No 4) ou dans les variations dynamiques très particulières de la musique slavonne. Pourtant il ne fait jamais d'emprunts à la liturgie, il recrée son atmosphère avec les ressources de la musique classique italienne.
Le choeur polyphonique à 8 voix avec orchestre colla parte (sauf quelques mesures de trompettes obligées à la fin) sur le texte de la litanie byzantine «Seigneur, ayez pitié» page savante et même un peu appliquée si on la compare à la grande fugue de l'oratorio, n'est peut-être pas de Sarti dans sa forme actuelle. Si les parties vocales sont certainement authentiques, l'orchestration a pu être réalisée par un de ses élèves.
Carl de Nys
Supplément :
À l'occasion du 280e anniversaire de la naissance du prince Grigory Potemkin de Taurida. Les Éditions Charlin s'associent au film documentaire proposé à l'Hermitage State Museum de Saint-Pétersbourg en son honneur et fournissent la bande sonore issue de l'album de Sarti - Oratorio russe. Grigory Potemkin ayant commandé l'oeuvre directement à Sarti, nous sommes fiers de pouvoir participer à cette exposition durant toute l'année 2020.
Comments